Les justes de St Cyprien
Isabelle et Jean Jouandet sont des lanceurs d’alerte : dans leurs livres témoignages, ils dénoncent le « mairisme » qui, depuis plus de quinze ans, corrompt selon eux cette commune balnéaire de l’agglomération perpignanaise.
Saint-Cyprien devait être le démarrage de leur nouvelle vie, paisible et heureuse. Celle d’une retraite bien méritée après des années mouvementées à tenter d’anticiper, contenir, gérer les crises et tumultes de la société française, d’Alençon à Perpignan, en passant par Paris, Annecy et la Martinique. Hélas, pour l’ancienne commandant de police et l’ancien préfet, il en fut tout autrement. Leur engagement dans le service public, elle aux Renseignements généraux, spécialiste du terrorisme, et lui comme grand commis d’État (il fut aussi Trésorier-payeur général des Pyrénées-Orientales), ils ont dû le poursuivre au chevet d’une commune où la probité des maires successifs est questionnée depuis près de quinze ans.
C’est l’incarcération de l’un d’entre eux, en 2008, et son suicide en
prison qui déclenchèrent le séisme. Et ses nombreuses répliques. À
l’origine, un système de corruption organisée où des œuvres d’art
servaient de monnaie d’échange à des marchés truqués. Dans leurs livres
respectifs, Mairisme, la démocratie locale en trompe-l’œil (2013) et La mort en sourdine – Le Mairisme
(2019), Jean et Isabelle Jouandet éclairent non seulement cette période
tragique d’un nouveau jour, en révélant notamment le rôle ambigu de
l’actuel maire dans cette affaire, mais ils témoignent, preuves à
l’appui, des mensonges et de la désinformation qui selon eux, prévalent
encore aujourd’hui dans la gestion de la cité balnéaire.
C’est d’abord en sa qualité de conseiller municipal de la majorité que
Jean Jouandet a tenté d’agir pour la ville de Saint-Cyprien. Thierry Del
Poso, maire actuel (LR), l’avait convaincu d’adjoindre l’image de sa
respectable et prestigieuse carrière préfectorale en soutien de sa
campagne électorale. Mais une fois la liste élue… Il n’a fallu que
quelques semaines pour que l’ancien préfet se résolve à opter plutôt
pour le rôle ingrat d’opposant. Témoin de la dérive autoritaire du
nouveau maire, des agissements troubles qui selon lui s’installaient,
Jean Jouandet se sentit alors le devoir de leur faire face. Contre cette
« démocrature » saint-cyprianaise telle qu’il la désignait, il alerta
dès lors Justice et État inlassablement, et jusqu’au bout.
Présumé innocent
Jean Jouandet décède en 2016, à 78 ans, quatre mois après une violente
altercation avec le maire de Saint-Cyprien, Thierry Del Poso, à la
sortie d’un conseil municipal. Le Premier magistrat, 51 ans à l’époque
et ceinture noire de judo, s’est-il emporté après avoir été une nouvelle
fois contredit par son vaillant opposant ? Jean Jouandet fut en effet
« à l’origine de six plaintes déposées au pénal concernant la gestion de
la ville de Saint-Cyprien », comme le rappelle le journal La Semaine du
Roussillon. Et si la relation directe n’est pas établie(1) entre la
gifle, l’empoignade et le décès du préfet, la justice reste à juger en
revanche si les 23 jours d’ITT (8 prolongés de 15) prescrits à M.
Jouandet méritent contre leur auteur de trois à cinq ans de prison ainsi
qu’une peine d’inéligibilité. C’est la peine encourue par M. Del Poso,
présumé innocent, qui a finalement été mis en examen en mai 2021 pour
« violence par personne dépositaire de l’autorité publique ». Réentendus
sous serment, tous les témoins initialement favorables à la version du
maire ont révisé leurs premières déclarations.
Faire triompher la vérité
La violence, Isabelle Jouandet la connaît bien : « Je la côtoie depuis mon enfance au Maroc », explique-t-elle.
Elle qui depuis s’est faufilée parmi les milieux les plus interlopes ne
craint pas de se battre aujourd’hui pour faire triompher la vérité.
«Parce que ce qui se passe à Saint-Cyprien se passe partout en France »
dit-elle.
Après le décès de son mari, le temps de reprendre pied, Isabelle Jouandet a décidé de poursuivre son combat. « Je n’ai pas supporté qu’à peine mort, une fois encore on tente de salir l’honneur de Jean, alors qu’il a laissé sa vie à défendre celles des autres. » Isabelle Jouandet a obtenu par exemple la condamnation du directeur de cabinet du maire de Saint-Cyprien qui, lors de la campagne électorale des municipales de 2014, avait mis en cause la responsabilité de Jean Jouandet en sa qualité d’ancien préfet de Haute-Savoie dans la catastrophe du Grand-Bornand(2). Le énième procès entre le couple incorruptible et des représentants de la mairie de Saint-Cyprien a donc encore une fois balayé la diffamation. Mais à quel prix ?
« Ce récit n’est pas une fiction », prévient le dos de couverture du
livre d’Isabelle Jouandet, tant en effet, la réalité des affaires
judiciaires qui troublent Saint-Cyprien pourrait bien dépasser
l’imagination.
Entre 2009 et le décès de Jean Jouandet, de nombreuses décisions du juge
administratif saisi par l’ancien préfet ont ainsi sanctionné les
irrégularités des actes de la gestion municipale et de l’office de
tourisme. La cour des comptes s’en est également chargée, relevant des
« anomalies ». Au moment des faits de violence, sept procédures pénales
sont toujours en attente de clôture d’enquête. Quant aux douze plaintes
portées en réplique par M. Del Poso et ses proches à l’encontre de leur
opposant municipal – pour injures, délit fictif, diffamation,
dénonciation calomnieuse… aucune n’est parvenue à entacher la réputation
de Jean Jouandet : cinq procès ont prononcé sa relaxe totale et sept
ont été classés sans suite.
Par contre, depuis la mort de Jean Jouandet, plusieurs affaires n’ont jusqu’à présent pas été qualifiées par la justice pénale : la vente suspecte des œuvres d’art par l’actuel maire ; les troublantes réitérations de la vente du camping municipal de la ville par le Conseil municipal après la double annulation de cette vente par les tribunaux ; un projet immobilier en zone inondable… où escroquerie au jugement, prise illégale d’intérêt, trafic d’influence, favoristisme, corruption présumés… ont fait l’objet de plaintes sans que la justice se soit encore prononcée.
État de droit
Jean, Isabelle Jouandet et leurs amis n’ont cessé d’alerter en toute
abnégation, y compris par un blog toujours en ligne www.pugnace.fr. Jean
Jouandet s’était même tourné vers l’État, l’exhortant à agir. L’ancien
préfet a adressé en 2011 un courrier en ce sens au président de la
République de l’époque, M. Sarkozy. Courrier qui a reçu une fin de
non-recevoir : « Comme vous le savez, les collectivités territoriales
s’administrent librement et, dans un État de droit, sont soumises au
contrôle des autorités juridictionnelles. Il vous appartient donc, si
vous estimez que des actes ou des agissements sont contraires à la
légalité républicaine, d’en saisir les juridictions compétentes. » Elle
est signée du secrétaire général adjoint de l’Élysée d’alors, un
certain… Jean Castex. Coïncidence : l’ancien Premier ministre du
président Macron est aussi un ancien élu local, puisqu’il fut notamment
maire de Prades, conseiller départemental de Pyrénées-Orientales et
conseiller régional du Languedoc-Roussillon. Problème : Jean Jouandet a
passé sa retraite à saisir la justice, à ses dépens, littéralement, et
en vain. Jean Castex pouvait-il l’ignorer ?
« Pour avoir une tête saine, il faut un corps sain et l’échelon municipal est le premier niveau démocratique. Or, il dysfonctionne et les gens en ont peu conscience. Et il y a ceux qui s’en accommodent. Que se passe-t-il lorsque de tels politiciens locaux atteignent le sommet de l’État ? » interroge Isabelle Jouandet qui parle « d’un effondrement des institutions. Pour moi, ce qui se passe ici est une sorte d’Outreau(3) politique ». Contacté, le maire de St Cyprien n’a pas souhaité s’exprimer.
(1) M. Jouandet souffrait de pathologie cardiaque, mais c’est le
cancer du pancréas que les examens médicaux ont révélé par la suite qui
l’a emporté.
(2) Contrairement à ce qu’affirmait le directeur de cabinet du maire de
Saint-Cyprien, le préfet de Haute-Savoie à l’époque, Jean Jouandet, n’a
aucune responsabilité dans la catastrophe du Grand-Bornand. Au
contraire. Il a été démontré qu’il avait bien agi pour l’éviter. Il
s’est d’ailleurs aussitôt porté au secours des nombreuses victimes de ce
dramatique glissement de terrain, survenu le 14 juillet 1987 et il n’a
ainsi pas pu servir de fusible au ministre de l’Environnement de
l’époque, Alain Carignon.
Pour rappel, Alain Carignon a été condamné à 5 ans de prison (dont 1 an
avec sursis), 5 ans d’inéligibilité, et 400 000 francs d’amende pour
corruption, abus de biens sociaux, et subornation de témoins.
(3) L’affaire d’Outreau désigne une affaire d’erreur judiciaire
concernant des faits d’agression sexuelle sur mineurs ayant eu lieu
entre 1997 et 2000.
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