Saint-Cyprien (Interview)/ Isabelle Jouandet : “”Plus que de la colère, j’ai ressenti de l’incrédulité mêlée d’une forte indignation”
Isabelle Jouandet vient de publier “Clac de Fin” (Ed. Société des écrivains), un témoignage fort sur un événement municipal extraordinaire, véritable fait de société, et pourtant classé dans la banale colonne médiatique des faits-divers…
Rencontre. Isabelle Jouandet, ancien Commandant de Police (DCRG), vit à Saint-Cyprien, où son époux Jean Jouandet, ancien Préfet, aujourd’hui décédé, était conseiller municipal. Elle publie “Clac de fin”, un livre qui raconte une histoire vraie, bouleversante, et qui, malgré le temps qui passe, continue de hanter les mémoires tant la page est loin d’être tournée, ce même si la lecture dévorante de cet ouvrage nous fait tourner vite les pages “pour en savoir plus” !
Mieux qu’un simple témoignage, “Clac de fin” demeurera comme un pan de la grande Histoire municipale du petit pays catalan, tant Isabelle Jouandet a mis ses talents d’enquêtrice au service d’une littérature passionnante à la croisée des genres, entre documentaire historico-politique et drame fictif (à base d’un fait réel). Le livre émeut autant qu’il surprend. Et ce grâce au jeu saisissant d’une écriture peu banale à laquelle on s’attache facilement
Ouillade.eu : où en ètes-vous au plan juridique sur “l’affaire”, ou plutôt le drame qui vous oppose à l’actuel maire de Saint-Cyprien, Me Thierry del Poso ?
-Isabelle Jouandet : “Je veux souligner tout de suite combien la nécessité de juger dans des délais raisonnables est fondée. Les faits de violence remontent à … 2016 ! Une première audience s’est tenue en novembre 2023 ! Elle a décidé d’un report au 2 décembre de cette année 2024 !
Je prépare donc cette nouvelle audience avec mon avocat, Maître Stéphane Fernandez. Me Fernandez est le troisième avocat qui me représente dans cette affaire, le premier n’ayant pas été à la hauteur de ses obligations professionnelles. Quant au second, Maître Scheuer, il est décédé brutalement en mars dernier. Cette situation montre, pour le moins, l’indécence des délais imposés aux victimes. Sauf à espérer que tous les protagonistes de l’affaire meurent les uns après les autres”.
Ouillade.eu : lorsque vous écrivez dans le livre “Clac de fin” : “Que d’obstacles pour dire la vérité…” ; avec-vous une ou plusieurs anecdotes pour illustrer cette phrase ?
-Isabelle Jouandet : “Les obstacles à la manifestation de la vérité sont nombreux. Sans rentrer dans le détail, je peux les classer autour des manquements majeurs aux droits de la partie civile.
Certains manquements sont imputables à mon premier avocat. Par exemple, le défaut de transmission de décision du juge en temps utile d’appel, ce qui m’a privé de toute voie de recours ; et encore, le défaut de transmission au juge de mes observations de partie civile produites un an et demi avant la clôture de l’instruction.
D’autres manquements relèvent de l’instruction elle-même. Le contenu de l’ordonnance de renvoi de M. Del Poso devant le Tribunal correctionnel est tout à fait partial et déloyal. Or, c’est à partir de cette ordonnance que le Tribunal va se prononcer !
Première lourde incohérence : la jeune juge nommée en cours d’instruction, que je n’ai jamais rencontrée, écarte l’information judiciaire ouverte en mon nom le 26 mars 2019. Elle instruit donc à partir des accusations de huit témoins venus déposer à la demande du maire en juillet 2016. Pourtant, ces mêmes huit témoins réentendus en 2019, sur convocation des services enquêteurs et cette fois sous serment, se sont tous rétractés.
Quant au témoignage principal, il est purement et simplement modifié par un panachage des procès-verbaux d’audition 2016 /2019 ! Pour verrouiller ce récit aménagé en faveur de M. Del Poso, je vais découvrir, là encore hors délai de recours, que la juge a considéré irrecevables mes observations de clôture de l’instruction.
Or ces observations reposaient sur un tableau comparatif des procès-verbaux des auditions 2016/2019 qui révélait nettement la fausseté des témoignages de 2016. Elles mentionnaient aussi pour nos huit témoins-menteurs de l’époque, preuves à l’appui, les situations particulières de dépendance au maire pour certains d’entre eux, et pour d’autres leur propre implication dans des procédures administratives ou pénales introduites par mon mari.
La qualité de plaignant de mon mari pointe un autre grave manquement de la juge qui n’a pas instruit l’un des chefs d’accusation de ma plainte dénonçant des violences exercées par représailles de ses actions en justice. Ce déni de justice est tel que le mobile de ces violences est passé sous silence.
L’instruction ignore mes arguments selon lesquels les agressions physiques succèdent toujours aux microviolences. Les paroles de disqualification, d’humiliation, les injures abondamment proférées par M. Del Poso lors des conseils municipaux où il n’avait de cesse de railler le vieil âge, la surdité et la pathologie cardiaque de mon mari, traduisaient une forte animosité.
Selon moi, le point culminant de cette agressivité récurrente a été le coup porté au visage de mon mari. Alors qu’il est établi qu’au moment des faits, mon mari avait déposé six plaintes pénales contre le maire de Saint-Cyprien pour la présomption de graves délits et qu’il était en outre à l’origine de vingt-six jugements rendus par le juge administratif sanctionnant des irrégularités de gestion municipale. Alors qu’il est aussi établi que la « déclaration de guerre » (SIC) de M. Del Poso à l’encontre de mon mari a été proférée publiquement au lendemain de sa garde à vue intervenue dans l’affaire litigieuse de la vente du camping municipal Al Fourty et que cette « guerre a été menée sans relâche jusqu’à ces violences du 8 juillet 2016. Alors qu’il est encore établi qu’à cette date du 8 juillet, la nouvelle décision d’annulation de la délibération de vente du camping Al Fourty est rendue par le juge administratif avec pour conséquence de relancer le pénal. En dépit de ce contexte juridique particulier le jour des faits, l’instruction évacue totalement l’examen du mobile de ces violences. L’instruction se contente d’indiquer, sans crainte du paradoxe, que « si le contexte de commission des faits est nécessaire à leur compréhension, il n’intéresse pas la présente discussion juridique » !
Ouillade.eu : pendant cette longue marche judiciaire, quand avez-vous ressenti une colère, une injustice flagrante ?
-Isabelle Jouandet : “Plus que de la colère, j’ai ressenti de l’incrédulité mêlée d’une forte indignation. L’énormité dans ce processus judiciaire reste le déni des conséquences immédiates de ces violences sur l’état de santé de mon mari jusqu’à son décès intervenu quatre mois après l’altercation.
Il y a un fossé abyssal entre le vécu médical de mon mari déclenché par le coup et la décision au terme de l’instruction du rejet de l’ITT de quinze jours ; un certificat ITT délivré au lendemain des violences par le médecin consulté et confirmé par divers examens d’imagerie médicales. Aucune investigation n’a été menée sur la réalité de ce vécu médical. En outre, l’expert n’exclut pas catégoriquement le lien de causalité avec le décès de mon mari d’un cancer du pancréas diagnostiqué trois semaines après les faits. Ce doute m’a conduite à demander un complément d’information à l’expert pour clarifier certains points de son rapport.
Mon questionnement, pourtant utile à la manifestation de vérité, était un préalable à une possible demande de contre-expertise médicale : il a été rejeté. Mon appel de ce rejet a été également rejeté dans la foulée sans que cela ne me soit signifié par mon avocat de l’époque en temps utile de recours. Je n’ai d’ailleurs jamais pu prendre connaissance des motifs de ce rejet car la copie cette pièce de procédure qui m’a été transmise après plusieurs mois ne concernait pas mon affaire ! Quel mépris pour la partie civile !
“Ce livre est l’aboutissement de plusieurs années d’observation et de réflexion
L’injustice est d’autant plus flagrante que ce rejet de l’ITT de 15 jours aboutit par conséquence purement procédurale à balayer la circonstance aggravante de la vulnérabilité de mon mari. Il aboutit également à ignorer la circonstance aggravante de violences commises sur une victime par représailles dont l’instruction comme déjà indiqué n’a jamais été faite. Car des violences sans ITT ne permettent de ne retenir qu’une seule circonstance aggravante. Dans notre cas, la seule d’évidence, difficile à nier, est la qualité de maire de M. Del Poso. M. Del Poso peut donc être soulagé de ne se voir reprocher que des violences sans mobile et sans conséquence ! D’ailleurs, il a abandonné sa posture première d’indigné en se désistant lui-même de son appel de l’ordonnance de renvoi devant le Tribunal.”
Ouillade.eu : votre témoignage littéraire est fort, incisif, parfois féroce… Écrire ce livre a-t-il été pour vous un chemin de thérapie, une manière de prendre du recul tout en réaffirmant les faits.
-Isabelle Jouandet : “Ce livre est l’aboutissement de plusieurs années d’observation et de réflexion. Après la mort de mon mari j’ai ressenti le besoin de répondre à deux questions : pourquoi et comment une telle violence a-t-elle pu intervenir dans notre vie. Aspirée par mon deuil, je n’avais pas alors l’intention de déposer plainte à l’encontre de M. Del Poso, ni même de faire perdurer l’action citoyenne de mon mari.
Ce qui m’a décidé à le faire ce sont les déclarations publiques de M. Del Poso qui a persisté après la disparition de Jean dans ses mensonges sur les circonstances de ces violences et sur l’affaire du camping Al Fourty. Je ne pouvais laisser piétiner de la sorte la mémoire de mon mari et je n’ai pu supporter le triomphe du mensonge sur le silence qui lui avait été imposé. J’avais encore la candeur de penser que la justice établirait la vérité lorsque j’ai déposé cette plainte en janvier 2019. Peut-être même, me disais-je alors, aurait-elle à cœur de réparer ses désertions passées car si elle avait traité comme il se doit le dossier litigieux du camping à l’origine de la fureur du maire ce 8 juillet 2016, nous n’aurions pas basculé dans cette ultime violence et Jean serait peut-être encore de ce monde.
Compte-tenu désormais de ma propre expérience des obstacles judiciaires, j’ai décidé d’écrire ce nouveau témoignage pour clamer des vérités que la justice, jusqu’à présent, a voulu taire. Plus qu’une prise de recul, c’est une prise de hauteur sur ces événements qui ouvre un champ de réflexions sur les dérapages du pouvoir et les failles du système démocratique qui les autorisent tacitement, ici ou ailleurs.
“Clac de fin ; ce titre a plusieurs significations.
La première est qu’il est un adieu à trente-six années de partage avec Jean et un hommage personnel de reconnaissance et de tendresse
C’est pour cette raison que j’ai choisi de modifier les seuls noms du personnage « Del Poso » et de la ville de « Saint-Cyprien ». Les choix de Del Pulcino, nom italien de Polichinelle dans la commedia del arte, personnage fourbe et manipulateur, et de San Panem par référence à la devise du pain et des jeux, clientélisme débridé oblige, veulent dénoncer non pas un homme et sa ville mais un prototype d’élus et de lieux où la démocratie est dénaturée”.
Ouillade.eu : comment expliquez-vous dans cette affaire le silence des médias locaux, qui ont plutôt fait le strict minimum ?
-Isabelle Jouandet : “Dans cette affaire, comme dans les précédentes, je pense que les médias locaux sont conditionnés par deux approches. L’une relève de la psychologie : sans doute ont-ils été sensibles aux dénonciations ad hominem faites par M. Del Poso et à sa constante victimisation. D’autant que les préfets sont à la fois craints et honnis dans l’imaginaire populaire et que mon mari n’avait pas la bonhommie affichée de M. Del Poso. L’autre est beaucoup plus pragmatique qui pose régulièrement la question de l’indépendance de la presse au regard de ses contraintes et de ses dépendances financières, entre autres à l’égard des municipalités”.
Ouillade.eu : le titre “Clac de fin” signifie-t-il dans votre esprit que la page est définitivement tournée ?
-Isabelle Jouandet : “Ce titre a plusieurs significations. La première est qu’il est un adieu à trente-six années de partage avec Jean et un hommage personnel de reconnaissance et de tendresse.
La seconde signifie que la vérité aura été dite à travers mes deux livres, celui de « la mort en sourdine » et celui-ci, le plus objectivement possible je crois, en tous cas avec les preuves disponibles de ce que j’avance.
La troisième veut indiquer la fin de mes illusions sur la vérité judiciaire. Ma culture policière privilégie une vérité judiciaire qui vise idéalement à se confondre avec la vérité des faits. Dans notre affaire de violences, il apparait que l’instruction a penché en faveur d’une logique sociologique : une vérité a minima des violences du maire justifiée par la sauvegarde de l’image institutionnelle.
Puis-je accepter cette pseudo-vérité comme base de décision recevable au procès à venir ? Bien entendu, la réponse est non. Pour autant, si je me refuse désormais à participer à ce jeu de dupe que sont les enchainements de procédures à des prix prohibitifs pour une vérité aménagée, je conserve l’espoir que le procès à venir rétablisse la justice dans la vérité. Dans le cas contraire, je continuerais à considérer que la nécessité éthique et morale de la vérité restera bien supérieure à la parole judiciaire d’un jour.
Pour autant, la page ne sera pas définitivement tournée : je persisterai par l’écrit et peut-être par d’autres voies à dénoncer les faux semblants de justice et de démocratie et à mettre en partage mes expériences”.
Ouillade.eu : la question que vous auriez aimé que l’on vous pose… et/ou celle que vous vous posez encore et encore peut-être ?
-Isabelle Jouandet : “Je me suis longtemps demandé comment M. Del Poso a pu considérer que l’ancien préfet qu’il était allé chercher pour rétablir ordre financier et morale publique renierait son engagement auprès des électeurs et se renierait lui-même.
Pour prétendre à cette démission de son opposant, faut-il que M. Del Poso ait été confiant dans le relâchement des institutions et le laxisme des hommes ; faut-il qu’il ait été ignorant de la force d’engagement d’un haut fonctionnaire après un demi-siècle de carrière exigeante ; faut-il qu’il ait ignoré ces mots de Tocqueville que tout préfet conserve à l’esprit : « ce qui met en danger la société, ce n’est pas la grande corruption chez quelques-uns, c’est le relâchement de tous ».
Toujours est-il que M. Del Poso semblait bien sûr de son impunité lorsqu’il avait pour toute réponse aux élus contestataires de les inviter à saisir les tribunaux. Je dois dire que la tournure prise par l’instruction de cette affaire des violences questionne sur cette assurance d’impunité et plus largement sur les relations qui favorisent l’entre-soi, avec les protections de la fonction et l’argent des contribuables. Faut-il s’y résoudre ? Je ne le pense pas. Cette affaire des violences, cet impensable, concerne tous les citoyens démocrates et républicains. D’autant que dans notre cas, il ne s’agit pas d’un conflit personnel mais bien d’une violence commise à l’encontre d’un élu qui avait pour engagement le rétablissement d’une saine vie collective et la préservation de l’intérêt commun au lendemain, faut-il le rappeler, d’une importante affaire de corruption locale”.
Propos recueillis par Luc Malepeyre (LM)
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